3 remèdes anti-morosité

Créer de la magie, rire de son goût et jouer avec les objets.

PATCHWORK
8 min ⋅ 26/10/2025

LES INSPIRATIONS DE LA SEMAINE
26 octobre 2025

Au programme :
Créer de la magie là où on ne l’attend pas, avec le designer Mathieu Lehanneur
Rire de son goût et des tendances que nous suivons (ou pas) avec La Chronasse
Détourner des raquettes rétro avec Revers Paris

Leçon de créativité, avec le designer Mathieu Lehanneur

Je ne sais pas pourquoi, mais en cette fin d’octobre froide et maussade, la vasque olympique, cet objet céleste, m’est réapparue d’un coup, comme si elle me soufflait “haut les cœurs !”.


Bizarrement, je ne l’avais pas tant admirée que ça pendant les JO. Oui, elle m’avait fait un petit effet, mais je n’avais même pas pris le temps d’aller la voir à Paris.

Mais là, ça m’a pris comme une urgence : toute cette semaine, j’ai été happée par les images de cet ovni qui montait dans le ciel. Je n’ai pensé qu’à ça : pourquoi maintenant ? Sais pas.

Alors, j’ai lu d’une traite le magnifique texte écrit par Sophie Fontanel sur le sujet, Couver un astre, que je vous conseille d’acheter en dix exemplaires et d’offrir autour de vous. En lisant le livre, je me suis demandée comment j’avais pu louper ce coup d’éclat poétique. Cette “chose adorable et prometteuse dans ce monde dont on ne peut plus ignorer aucune horreur”.

Etais-je la seule ? Avez-vous tous vu la “boule” IRL ?

Le soir des JO, quand la fille de Mathieu Lehanneur, le designer derrière la vasque, voit la boule pour la première fois, elle est prise de sanglots. Tout le temps de la montée, elle est secouée. Mais elle n’était pas la seule, beaucoup pleuraient.

Instagram de Sophie Fontanel

Dans son livre Sophie Fontanel écrit : 

De mon poste d'observation (ndlr : son balcon qui donne sur les Tuileries), je voyais s’activer les opérateurs autour de la vasque (...) Mais les minutes passaient, les heures passaient, et rien. C’est alors que la foule commença à appeler l’astre. Oh il faut sans doute avoir entendu ça au moins une fois dans son existence. C’est probablement ce que l’on doit vivre dans les stades, à certains moments. Ou quand la ferveur monte à des concerts.

C’est libre, spontané.
Ce n’est pas la transe collective des adeptes, ce n'est pas non plus le rendez-vous des croyants. Il n’y a pas de rite, ici, ni personne détenant une quelconque vérité, on ne veut rien nous enfoncer dans le crâne.

C’est juste un appel profond, dégoupillé, sans mot, sans syllabe. L’ovation qu’on offre à la beauté.
Moi aussi, à mes fenêtres, j'ouvris la bouche et j’appelai.
Quand on ne l'a jamais fait au début, aucun son ne sort et il faut essayer encore.

Mais comment arrive-t-on à créer des réactions aussi collectives, sincères, profondes, marquantes ? N’est-ce pas ce que nous cherchons tous, designers, artistes, communicants, architectes... humains ? 

Comme le raconte Mathieu Lehanneur, personne ne s’est extasié sur les courbes de la vasque ou sur sa fonction. “Mais chacun a été touché par le sentiment transcendant qu’elle porte”.

Alors, comment Mathieu Lehanneur trouve-t-il des stratégies d’émerveillement ? 
Quel est son état d’esprit quand il conçoit un objet ?  

Voici 4 enseignements que j’ai retenus en écumant ses interviews.

1) Un objet n’a pas d’importance. La seule chose intéressante c’est ce qui existe entre nous et l’objet.

Avant de dessiner quoi que ce soit, il se demande : qu’est-ce que je veux qu’il se produise ? 

Si face à une de ses pièces, quelqu’un croise les bras et s’exclame à quel point c’est élégant, c’est raté, ça ne l’intéresse pas. Si à l’inverse, la personne veut s’en approcher et toucher, comme le ferait un enfant, pour lui, c’est réussi. Car il y a eu un mouvement, une réaction. Il y a eu contact

Ça va donc au-delà de l'esthétique : le plus important c’est d’identifier ce qu’il faut mettre en place pour créer une attirance. Pour que l’objet, sans bouger, vienne au contact de l’humain. Comme par magie. Pour y arriver, dit-il, “il faut sortir de sa tête, et camper dans celle des autres”.

Pour la vasque, il s’est demandé comment aller chercher les plus réticents, ceux qui n’étaient pas vraiment intéressés par le sport.

La lampe à panneaux LED "Demain est un autre jour", de Mathieu Lehanneur pour l'unité de soins palliatifs du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon.

En 2009, il apporte de la rêverie aux personnes en fin de vie, grâce à une lampe qui s'apparente à un hublot diffusant en permanence un état du ciel.

Ce service des Diaconesses Croix Saint-Simon est à la pointe en ce qui concerne la gestion de la douleur et les troubles psychologiques. Il propose des initiatives assez belles, comme l'intervention de maquilleuses. Tout ce qui leur manquait, c'était un supplément d'âme. Et moi je crois dur comme fer à ce que le design peut offrir. Si je fais ce métier, c'est pour arriver à ce type de commandes."

"Souvent, la famille et les visiteurs ne savent pas comment se positionner face au malade. Ces objets sont comme un cheval de Troie qui leur permet de trouver leur place en parlant de la météo, mais aussi de l'angoisse du lendemain, en revenant dans la vie normale, raconte le designer, qui a toujours refusé d'abandonner sa légèreté et son humour au cours des rencontres. Et puis, face à un ciel en mouvement, le patient peut se dire qu'il a encore ce petit pouvoir de savoir de quoi demain est fait, une espèce de force de vie. A lui de choisir le lieu dont il verra les cieux : Paris, son village de naissance ou la ville où habitent ses enfants...

Source : Mathieu Lehanneur, face à l’obscur, Le Monde

Parenthèse 1 : C’est parce que les objets ont cette capacité à nous faire réagir, à susciter une émotion qu’ils sont importants, voire nécessaires. Il cite le premier film de George Lucas ,THX1138, dans lequel il n’y aucun décor : tout est blanc. Absence totale d’objets = absence totale de sensations.

Parenthèse 2 : Mathieu Lehanneur est le dernier d’une famille de 7 enfants. “Naître dans une famille nombreuse, c'est vite apprendre à trouver sa singularité au milieu du groupe. Aujourd'hui, quand je conçois quelque chose, je veux que chacun se sente un enfant unique au milieu d'une grande famille”, raconte-t-il au journal Le Monde.

2) Une idée, c’est une petite chose fragile. Il suffit d’un rien pour la tuer.

Mathieu Lehanneur a réalisé l’aménagement du choeur de l’église St Hilaire à Melle dans les Deux Sèvres, inauguré en 2011

Savoir transmettre son idée est tout aussi important que savoir l’exécuter.

Quand il présente son projet au jury de Paris 2024, il n’a que quelques minutes pour parler de la torche, du chaudron et de la vasque. Alors il se recentre : qu’est-ce que Thierry Reboul [directeur exécutif des Jeux Olympiques 2024] racontera à sa femme, à ses enfants, en rentrant ce soir ? Qu’est-ce qu’il va garder de notre échange ?

Il faut planter des graines. Mais attention, on ne peut pas toujours prévoir laquelle prendra. C’est pour ça qu’il y a un peu d’impro : il faut guetter l’oeil qui frise ou le tout petit bout d'intérêt sur un détail que relève la personne qui vous écoute.

...

PATCHWORK

Par Philippine Sander

Je partage mon temps entre l’écriture de cette newsletter et mes missions de stratégie éditoriale/ identité de marque pour mes clients. J’accompagne ainsi les marques et créatifs à construire la narration de leurs projets. Mon rôle est de poser un cadre clair — récit fondateur, piliers, mots-clés et intentions — qui devient une véritable boussole pour la création.

Mon site : https://www.patchwork-inspirations.com/
Pour m’écrire : philippine@patchwork-inspirations.com

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